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Chapitre 03
J’ai vu un ange !
La fin de l’année glissa doucement, ennuyeuse et monotone, jusqu’à Noël. Pour changer, nous avons passé les fêtes de fin d’année chez mes grands-parents maternels. Ma mère avait une sœur qui ne s’entendait pas trop bien avec ses parents. Nous étions pour ainsi dire leur seule famille. Ça ne les rendait pas plus affectueux pour autant. Comme tout ce qui était nouveau, l’arrivée de Nicky les perturba un peu. Dix jours chez eux sans ordinateur ni Internet… le Goulag ! J’en profitais pour faire de bonnes balades avec mon chien dans la campagne. Comme l’année précédente, le soir de Noël, Lætitia m’envoya plusieurs SMS. Pourquoi pensait-elle toujours plus à moi à cette date-là ? Sans doute aurait-elle souhaité passer la soirée à mes côtés… Moi aussi !
C’était Noël, tu n’y étais pas, mais c’était comme si ! Au deuxième SMS, ma grand-mère ne put s’empêcher de me demander :
- Qui est-ce ?
- Lætitia.
- C’est ta petite amie ?
- Non. Une amie, c’est tout.
De tout temps, ma grand-mère voulait que j’aie une petite amie. Il ne se passa pas un Noël sans qu’elle ne me posât la question. Mais chaque année, et à son grand regret, je prenais un malin plaisir à lui dire le contraire. Ce qui la désespérait, c’était que je ne m’intéresserais jamais aux filles. Ce qui me désespérait moi, c’était que je serais encore là, l’année prochaine, à répondre à la même question !
Les fêtes passées, nous prîmes le chemin du retour et moi celui du lycée.
Le début de l’année est toujours propice aux bonnes résolutions. Cette année-là, je n’en avais pas pris. La vie semblait continuer, inintéressante et sans surprise. Mais si je n’avais pas prévu de changer, le temps et les événements en décidèrent autrement.
En ce début d’année 2003, il en a fallu des choses pour que ce jour de rentrée scolaire soit différent des autres jours ! Il a d’abord fallu que le soleil, dans sa course folle à travers la galaxie, se dresse sur ce même point d’horizon que la veille. Il a fallu que nous nous levions à la même heure, que nous traversions la même ville pour nous rendre au même lycée. Je ne te connaissais pas et nous n’avions pas rendez-vous mais il a fallu tout cela et bien d’autres choses encore, pour que nos chemins et nos regards se croisent !
Ce jour-là, il arriva au lycée. Un nouveau : brun avec de beaux cheveux longs et les traits fins, sensiblement du même âge que moi.
J’aurais pu ne pas le voir dans la foule, mais je ne vis que lui. Pourquoi ? Et pendant que je restais bloqué, les yeux grands ouverts, le nouveau qui balayait du regard son nouvel environnement tourna brusquement la tête… pour revenir sur ce qu’il venait de voir : moi ! Nos regards ne s’étaient croisés qu’une fraction de seconde pourtant j’eus l’impression de lire la même expression d’étonnement ou de curiosité sur son visage. Tout était allé très vite mais la scène fut gravée dans ma mémoire. Pendant les mois qui suivirent, je me la repassais souvent. Ce garçon avait-il senti mon regard posé sur lui ? Avait-il tourné la tête par hasard, juste à ce moment précis ? Ou m’avait-il remarqué, moi, Bryan, parmi une centaine d’élèves ? Impossible ! La seule chose dont j’étais certain, c’est qu’il était beau ! Première rencontre… Je ne te connaissais pas mais les questions fusaient déjà dans ma tête.
Le lendemain, alors que j’avais presque oublié l’incident de la veille, nos regards se croisèrent plusieurs fois. Et je fis toujours le même constat : « Qu’il est beau ! »
C’est durant cette période que j’ai commencé la rédaction d’un journal. J’ai toujours aimé écrire et c’est tellement plus facile avec un ordinateur. J’y mettais, de temps en temps, les événements de la journée, les choses insolites qui m’arrivaient, ainsi :
« 10 janvier 2003 — Mis à part le fait que lundi était la reprise des cours, ce fut aussi une journée inhabituelle, extraordinaire et insolite. J’ai vu un ange ! Non, je ne suis pas fou ! Il est arrivé au lycée un être étrange que je ne connaissais pas, avec un visage aux traits si fins qu’ils semblaient sculptés dans le marbre. Un marbre blanc, indescriptible, presque translucide. Avec de longs cheveux noirs bouclés. Il marchait comme on danse. Non, il ne dansait pas, il volait ! Il semblait descendre du ciel et glisser sur le bitume comme un patineur sur la glace. Il était si beau que je ne le quittais plus des yeux et c’est alors que nos regards se sont croisés. Mais c’était sûrement parce que j’étais figé, les yeux grands ouverts, qu’il m’a remarqué. »
« 13 janvier – Tous les jours, je revois ce mystérieux inconnu au lycée. Je n’ose plus l’observer car nos regards ne cessent de se croiser. Que va-t-il penser de moi ? Et pourtant, je ne peux pas m’en empêcher. Je n’ai jamais vu de garçon aussi beau ni aussi gracieux. Hélas, il n’est pas dans ma classe ! Il vient d’arriver. Il est seul, triste et solitaire. J’aimerais bien être son ami, mais je ne sais comment faire. Je suis comme le petit prince avec le renard, je ne sais comment l’apprivoiser… pourtant il est déjà, pour moi, unique au monde. Ça me fait peur. »
Interruption du journal.
« 24 janvier 2003 – Plus de quinze jours que j’ai abandonné ce journal. Je n’ose plus écrire tout ce que je vis, tout ce que je ressens… Je ne sais plus où j’en suis. Mes sentiments m’effrayent ! Je suis obnubilé par ce garçon. Je ne le connais pas, je ne sais rien de lui mais je crois que je l’aime. Comment est-ce possible ? Heureusement il n’est pas dans ma classe ! Pourquoi est-il si beau et si mystérieux ? Que faire pour que tout cela cesse… Mais en ai-je vraiment envie ? Je vis un rêve, je plane, je vole… avec les anges. »
Que de questions posées… Chaque fois que je le cherchais, pendant les pauses, nos regards se croisaient. Comme s’il me cherchait aussi. Comment le savoir ? Et comment l’aborder de façon naturelle ? Je ne pouvais pas lui faire le coup de la situation en Afghanistan. Un garçon qui se prend une veste en draguant une fille, ce n’est pas grave. On se moque de lui pendant quelques jours — si la fille est bavarde — puis c’est oublié. Mais avec un garçon, on ne s’en remet pas. Je ne me sentais pas capable d’affronter une telle situation. Seulement, plus le temps passait et plus je pensais à ce bel inconnu. Impossible de me concentrer sur autre chose. J’avais déjà aimé des garçons mais jamais avec la même intensité. À chaque fois, ce ne furent que de courtes amourettes des plus platoniques et qui ne durèrent pas. Inutile de s’inquiéter. Il suffisait d’attendre. Celle-là passerait comme les autres.
Aimer un garçon, ça ne veut rien dire. Ce n’est pas pour ça qu’on est homo. D’ailleurs, je ne l’aimais pas. Je le trouvais beau, c’est tout ! Mais plus j’essayais de rester indifférent, plus j’étais attiré par ce garçon ! Chaque fois que j’étais près de lui, je remarquais un détail nouveau. C’est lorsque je découvris la couleur de ses yeux que je compris ce qui me fascinait chez lui : il était différent, il venait d’ailleurs ! Ils étaient verts, d’un vert changeant, jamais le même, en fonction sans doute de la luminosité. Ses longs cils noirs, recourbés. Si noirs, qu’ils donnaient l’impression d’être maquillés. Son visage blanc, imberbe et cette fine bouche qui ne riait jamais… Je connaissais tout de lui : ses vêtements, sa montre, ce large bracelet en cuir noir avec des clous en acier qu’il portait au poignet droit, cette bague au majeur de la main gauche, ce collier noir autour du cou avec cet anneau en métal, tout plat, sur lequel était gravé quelque chose que je n’arrivais pas à lire… Tout ce qui était visible car en fait, je ne savais rien de lui, même pas son prénom. Pourtant, sans rien faire, il avait envahi ma vie. Son image me fascinait. Je ne voyais plus que lui.
Je me posais toutes sortes de questions. Mais les réponses qui s’imposaient, m’effrayaient encore plus que les questions. J’étais mal. Je n’étais pas insensible aux charmes des filles, un petit cul et une paire de seins ne me laissaient pas indifférent. Mais je bandais autant en voyant un beau mec aux traits fins avec le même petit cul ! Combien de fois ai-je imaginé ton corps sous tes vêtements ?
En attendant, c’était un plaisir d’aller au lycée où je savais le retrouver chaque matin. Mais les jours de repos devenaient interminables. Plus les semaines passaient et plus je déprimais. Un jour convaincu de l’aimer, le lendemain persuadé du contraire. Un garçon qui aime un garçon, ce n’est jamais simple.
Je sentais la situation m’échapper. J’étais partagé entre l’envie de vivre à fond cette aventure et celle d’écouter cette petite voix intérieure qui ne cessait de me répéter : « C’est mal ! » Était-ce répugnant ou normal ? Je n’en savais rien, je n’avais reçu aucune éducation là-dessus. Si ce n’est les réflexions entendues ici et là qui tendent toujours à nous faire croire que les homos, ce sont les autres !
Alors que faire ? Attendre la prochaine fille qui me ferait perdre la tête et tout rentrerait dans l’ordre ? Mais celle-ci tardait à venir et le garçon au teint clair devenait de plus en plus séduisant, de plus en plus envahissant.
Fallait-il se mettre en quête d’une nouvelle petite amie ? Je n’en avais pas très envie mais c’était une urgence pour me recentrer, me rassurer. Il faudrait être très prudent dans mon choix. En trouver une un peu réservée, qui ne s’accrocherait pas indéfiniment quand je la laisserais tomber et qui ne me proposerait pas non plus de coucher tout de suite.
J’aurais voulu t’aimer raisonnablement. Deux opposés car l’amour est tout sauf raisonnable. Il est incendiaire. Il nous pousse à faire toutes les bêtises que nous ne ferions pas en temps normal. Il étouffe notre conscience, nous consume et nous transporte.
En attendant, je décidais d’enfouir mes sentiments et mes attirances. Je voulais les refouler au plus profond de mon âme, au plus profond de mon cœur, afin de m’en libérer et qu’ils y restent pour toujours. Mais peut-on ainsi s’en défaire ? Pourquoi n’y sont-ils pas restés ? Pourquoi ont-ils rompu leurs liens ? Pourquoi cette mutinerie ?
J’aimais ce garçon. Pourtant combien de fois ai-je tenté de me persuader du contraire, qu’il était tout à fait ordinaire, sans rien de plus que les autres, même pas beau ? Il ne fallait plus y prêter attention, ne plus m’en occuper et tout allait rentrer dans l’ordre. Premières choses à faire : ne plus le chercher, ne plus le regarder, cesser de penser à lui et de me répéter que je l’aime, comme si c’était de l’auto-conditionnement. Résolution absurde puisque je n’y arriverai jamais ! Chaque matin, je faisais tout le contraire. Au réveil, mes premières pensées étaient pour lui. Ensuite, à peine arrivé au lycée, j’avais besoin de le voir, de savoir qu’il était là. Ça me rassurait. Le pire c’est que j’avais l’impression qu’il faisait la même chose.
C’était toujours au moment où j’étais persuadé d’en être guéri, où je me croyais le plus fort, que j’étais soudain dévoré par l’envie de le revoir et, à la rencontre suivante, je sombrais de plus belle. Alors, en un instant, toutes mes certitudes s’envolaient. Je laissais mon cœur s’emballer et m’expliquer pourquoi il était si extraordinaire, si beau et séduisant. Pourquoi je l’aimais et que je l’aimerais toujours. Jusqu’au bout de ma vie, jusqu’au bout du plus lointain des voyages. Je ne savais plus quoi faire. Je n’arrêtais pas de me dire que je n’étais pas normal tout en espérant qu’il ne l’était pas non plus. Je ne cessais de me répéter que c’était mal mais je faisais tout pour le séduire. Jusque-là, peu soucieux de mon apparence, je décidais soudain de changer de look et de vêtements. Je me sentais minable à côté de lui. Il était toujours beau, nickel et irréprochable. Ma mère fut surprise par ce nouvel intérêt pour ma personne et mon image. Elle m’avait vu « rigolard et indifférent » pendant son divorce, « envie de rien » l’année suivante. Soudain, ce regain d’attention ne passa pas inaperçu. Un jour que j’essayais un nouveau pantalon :
- Lætitia n’est plus là, à qui veux-tu plaire ? me demanda-t-elle.
- Avec Lætitia je n’avais pas d’efforts à faire pour plaire.
- Qui est-ce ?
- Ce n’est personne, j’ai juste envie de changer.
Elle n’en crut pas un mot mais cessa de me poser des questions. Je m’en posais bien assez tout seul. Fallait-il vraiment lutter ou se laisser aller et prendre la vie comme elle venait ? C’était facile à dire, pas facile à vivre. Je culpabilisais de plus en plus. J’avais parfois l’impression que toute résistance était inutile, que je luttais pour rien. Comme dans ces jeux vidéo, où lorsqu’on coupe un ennemi en deux, chaque moitié redevient un nouvel ennemi potentiel. La meilleure défense étant de ne plus lutter mais d’admettre la réalité et de laisser venir.
J’aimais un garçon. Même si je refusais d’y croire. J’étais prêt à le nier avec une énergie farouche. Seulement voilà, faire taire ses sentiments n’est pas qu’une question de volonté. J’ai voulu me protéger de cet amour impossible en me persuadant qu’il n’existait pas. Moi, qui avais peur du rejet des autres, je me suis rejeté moi-même. Mais je n’avais pas tout prévu. On peut mentir aux autres, pas à soi-même. Ces mensonges-là nous rongent de l’intérieur. Je connaissais mes sentiments. Je savais ce que j’avais dans le cœur.
Comme une vague se retire pour mieux revenir, mes sentiments refirent surface avec une force inouïe, décuplée et incontrôlable. J’étais comme le capitaine d’un navire perdu en pleine tempête, sans savoir quoi faire. Parfois persuadé qu’il valait mieux faire demi-tour, parfois convaincu de mon insubmersibilité et qu’il fallait au contraire aller de l’avant. Mais peu importe puisque la barre ne répondait plus et que j’allais au hasard, porté par les vents, par cette force invisible qui s’appelle l’amour et qui n’obéit à aucune règle, à aucune loi ni à aucune logique.
Les vacances de Pâques arrivèrent. Quinze jours sans le voir ! J’arpentais les rues de la ville en vain : il n’y était pas. À sa grande surprise, j’accompagnais même ma mère pour faire les courses. Il n’y était pas non plus. Nous n’étions plus au même endroit en même temps. Ce qui me perturbait le plus, c’est qu’après quinze jours sans le voir, je ne me souvenais presque plus de son visage, comme si mon cerveau en faisait rejet. D’où venait ce blocage en moi qui m’empêchait de l’aimer librement ? Je n’avais pas de photos de lui. Je ressentais le besoin d’en parler, de me confier. Besoin de recevoir des conseils ou un avis extérieur. Besoin de savoir si j’étais normal. Si c’était courant, logique et légitime à mon âge de tomber amoureux d’un garçon. Savoir si d’autres que moi vivaient le même délire. Quand on est môme et que ça arrive, on se pose moins de questions. Mais à seize ans, à qui se confier ? À qui le demander ? À ma mère ? Non, impossible. Il n’est jamais facile de parler de ce genre de choses. Je déprimais et ma mère le voyait bien.
- Depuis que Lætitia est partie, tu n’es plus le même. Si elle te manque, tu devrais aller la voir !
Bien sûr que Lætitia me manquait mais sans plus. Qu’aurais-je fait si elle était encore là ? Déjà, elle aurait tout deviné.
- Oui, t’as raison. C’est ce que je vais faire.
Me confier à Lætitia ? Ce ne serait pas facile de lui poser ce genre de question. Mais c’était la seule qui pouvait me comprendre. Aussi, avant de devenir fou, je décidai d’aller la voir à Paris. Aussitôt décidé, aussitôt fait, je partis sans prévenir. Elle fut surprise de ma visite mais enchantée de me voir. Nous discutâmes un moment ensemble. Elle qui comprenait toujours tout vit bien que quelque chose n’allait pas. Mais j’étais incapable de parler, incapable de lui ouvrir mon cœur.
- Ça ne va pas ?
- Non.
- Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Plein de choses.
- Quelles choses ?
- Je n’arrive pas à le dire.
- Tu n’y arrives pas, tu ne veux pas ou tu ne sais pas ?
- Je n’y arrive pas.
- C’est si grave ?
- C’est compliqué ! Je ne sais plus qui je suis.
- Je te manque ?
- Oui, bien sûr que tu me manques mais ce n’est pas pour ça.
- Dommage !
Soudain, j’entendis retentir la sonnette et la porte d’entrée s’ouvrir. C’était Stéphanie une amie de Lætitia, celle-ci se précipita pour lui barrer le chemin.
- Je ne suis pas seule !
- Ah bon, qui c’est ?
- Bryan.
- Le fameux Bryan ? dit-elle en s’avançant pour me voir.
- Bonjour ! Je ne sais pas si je suis si fameux…
Elle tenta de s’expliquer.
- Je disais fameux parce que j’ai tellement entendu parler de toi !
- En bien ou en mal ?
- Que du bien !
Contrainte, Lætitia fit les présentations…
- Bryan… Stéphanie… une amie.
- Une amie ? Ton amie !
Nous discutâmes un moment mais, complètement absent, je décidai de m’en aller.
- Ce n’est pas moi qui te fais fuir j’espère ? demanda Stéphanie.
- Non, j’allais partir.
Lætitia me regarda songeuse. Elle avait compris que j’étais venu pour me confier, mais que j’en étais incapable.
- Tu m’appelles ?
- Ok.
Elle me raccompagna, quand elle revint dans le salon, Stéphanie était perdue dans ses pensées.
- Qu’est-ce qu’il a ? demanda-t-elle.
- Je ne sais pas, mais ça ne va pas du tout.
- Qu’est-ce qu’il est beau !
- Je sais !
- Ah non, on ne se dispute pas à cause d’un mec !
Lætitia regardait Stéphanie, elle réfléchit un moment, puis…
- Tente ta chance, moi je n’en ai aucune avec lui. Mais j’ai l’impression qu’en ce moment, il est préoccupé par autre chose.
- C’est vrai, je peux ? Tu ne m’en voudras pas ?
- Non. Si t’y arrives… Je te tue, c’est tout.
- Tu l’aimes encore ?
- Plus comme avant mais je l’aime beaucoup. Il a plein de qualités. Il est très attachant. Je m’entends trop bien avec lui mais en ce moment, ça n’a pas l’air d’aller.
- Il est amoureux, tu crois ?
- Je ne sais pas, mais il a l’air très mal dans sa peau, ce n’est pas son habitude.
- C’est moi qui l’ai fait fuir ?
- Je le connais bien, je ne l’ai jamais vu aussi mal. Il était venu pour se confier… c’est raté.
- Désolée !
- Je le rappellerai.
Le lendemain, mon portable sonna, mais ce n’était pas Lætitia.
- Bonjour, c’est Stéphanie l’amie de Lætitia. Tu te souviens de moi ?
- Oui.
- Lætitia m’a donné ton téléphone. Je voulais m’excuser pour hier, je vous ai coupé dans votre discussion et t’ai un peu fait fuir, toi qui venais de si loin…
- Pas de problème.
- Mais je voulais te dire autre chose… Voilà… J’aurai bien aimé te revoir.
Silence ! Je ne savais pas quoi répondre. Je me demandais si j’avais bien compris. C’était une invitation pour le moins inattendue. Moi qui en cherchais une, j’étais en train de me faire draguer par une fille ! Je tentais de faire plusieurs choses à la fois : de me concentrer, de réfléchir à la situation et de répondre quelque chose d’intelligent… Mais je n’y arrivais pas, je restais muet.
- Allô !
- Oui, oui, je suis là mais je ne sais pas quoi répondre, tu me prends un peu au dépourvu.
- Je comprends, je vais te laisser réfléchir.
Elle me laissa… et réfléchir et son numéro de téléphone. Je tentais en vain d’analyser la situation. Bien sûr que je voulais sortir avec une fille mais de là à choisir la meilleure amie de celle qui m’avait tellement aimé… Je faisais un blocage. Stéphanie était belle. C’était tentant. En plus, elle était consentante, c’est même elle qui faisait le premier pas ! Mais j’étais incapable de prendre une décision. Comment expliquer ça à Lætitia ? Je n’eus pas à le faire. Le soir même, c’est elle qui m’appela. Je n’avais jamais été autant demandé. J’avouai à Lætitia que Stéphanie m’avait téléphoné.
- Je sais.
- Comment ça, tu sais ?
- C’est moi qui lui ai donné ton numéro.
- Tu sais pourquoi elle m’appelait ?
- Je me doute… Fais comme tu veux, il y a longtemps que je me suis fait une raison.
J’étais sidéré. Je ne savais plus quoi dire. J’avais en plus l’autorisation ! J’ai toujours du mal à comprendre ce qu’il se passe parfois dans la tête des autres, autant que dans la mienne d’ailleurs. Je lui promis de revenir la voir le mercredi suivant, ce qui me donnait une petite semaine de réflexion. Je rappelais Stéphanie pour lui annoncer la nouvelle.
Comment expliquer tout ça ? Je prenais rendez-vous avec une fille quand un mec occupait toutes mes pensées. Je ne me sentais pas très fier de moi mais décidé toutefois à vivre à fond cette aventure. Enfin, à fond… C’était un bien grand mot car je ne pourrais sûrement pas aller jusqu’au bout de cette liaison, si liaison il y avait.
Moi qui espérais trouver une fille plutôt timide, qui ne me proposerait jamais de coucher… Je n’avais peut-être pas fait le meilleur choix. Mais pour l’instant, j’étais plus choisi que je ne choisissais. Il suffisait de se laisser porter par les événements et voir venir.
Le lendemain au lycée, je me sentais mal à l’aise face au garçon inconnu. Je n’osais même plus le regarder. J’avais déjà l’impression de le trahir alors que nous ne nous connaissions pas. Ça ne tournait vraiment pas rond dans ma tête.
Je jouais double jeu, en voyant Stéphanie le mercredi et cet inconnu le reste de la semaine.
Lorsqu’au lycée nous étions proches l’un de l’autre, je m’amusais à fixer quelqu’un près de lui et invariablement, je sentais son regard sur moi. Mais quand je le regardais, les beaux yeux verts changeaient aussitôt de direction pour regarder quelqu’un d’autre. J’avais alors le temps de le dévisager pendant quelques secondes, de m’imprégner de son image pour ne plus l’oublier. Et lui faisait parfois la même chose. Du moins je le croyais. Je le voyais presque tous les jours mais n’avais jamais entendu le son de sa voix. Jusqu’au jour où il me télescopa en disant :
- Excuse-moi !
- Non, c’est moi.
Je ne l’avais pas vu arriver et il s’enfuit aussi vite qu’il était venu. Sa voix était belle, elle était grave. Chaque nouveau détail de son être me fascinait. Pourquoi était-il parti si vite ? Pourquoi n’avais-je rien fait pour le retenir ? Tout semblait si facile après coup mais face à lui, je ne marchais pas droit.
Le mercredi suivant j’étais chez Lætitia, elle me regardait bizarrement, je sentais qu’elle se posait plein de questions et qu’elle n’allait sûrement pas tarder à me les poser.
- Ça va ?
- Oui.
- Mieux que la semaine dernière ?
- Un peu.
- Stéphanie y est pour quelque chose ?
- Non.
- Oui, non, je t’ai connu plus bavard !
- Je suis désolé.
- Stéphanie va venir tout à l’heure.
- Oui, je sais, elle me l’a dit.
- Tu vas sortir avec elle ?
- Je ne sais pas, je ne la connais pas et puis ça me gène.
- Il ne faut pas.
- Votre amitié risque d’en souffrir.
- Non, pas de souci, je l’ai déjà prévenue : si elle arrive où j’ai échoué, je l’étrangle, c’est tout !
J’eus un petit rire forcé.
- Comme tu as l’air triste ! Pourquoi tu disais l’autre jour que tu ne sais plus qui tu es ?
- Je suis toujours étonné par tout ce qui me passe par la tête.
- Tu te poses trop de questions.
- Non, je ne crois pas.
Il y eut un silence… elle réfléchissait.
- Tu préfères les brunes ?
- Je ne sais plus ce que je préfère.
- T’as l’air de douter de tout !
- Oui, complètement !
Nous étions les yeux dans les yeux, Lætitia tentait de comprendre ce que je ne lui disais pas, ce que j’étais incapable de lui dire.
Stéphanie attendait un coup de téléphone pour nous rejoindre. Lætitia attendait que je lui parle de ce qui me chagrinait et moi, j’attendais le lendemain pour revoir celui que j’aimais. Situation des plus claires ! Après les banalités d’usage échangées en présence de Lætitia, Stéphanie me suivit au café le plus proche. Je ne fis pas de grandes déclarations. Je lui expliquais, sans entrer dans les détails, que je traversais une période de doute et d’incertitude. Bien que je la trouvais belle, je ne l’aimais pas mais que j’étais d’accord pour nous fréquenter afin de mieux se connaître. Je la trouvais plus hésitante et réservée que la semaine d’avant. Elle accepta. Il n’y eut pas de démonstrations affectives ni ce jour-là, ni les rendez-vous suivants. Je l’embrassais comme on embrasse une bonne amie. Je n’étais pas pressé. Elle fit comme si elle ne l’était pas non plus.
slt, je viens de terminer le livre, tres émouvant. Mais pourquoi cette fin tragique? Est lié à une expériance passée?...
RépondreSupprimerstudent20a@hotmail.com
Des séparations nous en connaissons tous, mais non, pas d’expérience aussi tragique. Les idées sont venues d’elles même au hasard de l’écriture. Ensuite, des raisons… nous pouvons toujours en trouver. Bryan ne cesse de dire que dans sa vie ce qu’il prévoit n’arrive jamais :
RépondreSupprimer« C’est toujours au moment où je m’y attends le moins que tout bascule dans l’horreur. Quand je crois au bonheur, le temps et les événements, qui nous ignorent, en décident autrement et rien ne se passe comme prévu. Mais inversement, de sinistres soirées selon mes prévisions, finirent en feux d’artifices. »
On nous reproche souvent de ne pas avoir arrêté l’histoire un chapitre plus tôt. Si nous l’avions fait, c’aurait été un beau conte de fée, mais la vie ce n’est pas ça. Le but n’est pas de démoraliser les jeunes homos en leurs expliquant qu’ils ne seront jamais compris car c’est faux. Les mentalités changent mais pas à la vitesse de la lumière et beaucoup sont encore malmenés en raison de leur orientation sexuelle. Le suicide n’est surtout pas la solution mais il reste pourtant la première cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 19 ans après les accidents de la route et les ados homosexuels sont 13 fois plus exposés que les autres. Parler de la mort n’est pas une incitation au suicide, c’est tout le contraire.
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